* Rebecca West, 1913.
Dans mon travail que j’ai pour payer les factures, j’ai depuis deux mois un nouveau collègue, un responsable clientèle. Bien que je me sois très bien entendue avec son prédécesseur et que j’ai regretté son départ, je n’avais pas d’aprioris, j’attendais de voir à qui j’avais affaire.
Sur le plan professionnel c’est un peu tôt pour juger, et puis de toutes façons ça n’est pas à moi d’évaluer le monsieur. Mais sur le plan personnel, je peux vous dire que c’est un joyeux drille! Il n’était pas là de quelques jours qu’on avait déjà tous pu constater à quel point son sens de l’humour est développé, il ne manque jamais une occasion de faire une bonne blague.
Et pour les bonnes blagues, il a un sujet de prédilection: les femmes.
Ah, les femmes: un sujet de plaisanterie tellement vaste qu’on n’en fera jamais le tour. Elles sont bêtes, elles sont envieuses les unes des autres, elles ne pensent qu’à l’argent! Y a tellement de choses drôles à en dire!
Donc de puis 2 mois, je me prends une vanne machiste bien sentie dans les dents au moins une fois par jour. Le premier jour j’ai rigolé, parce que quand on bosse avec des hommes il ne faut pas être chochotte. Le second jour, j’ai souri. Le troisième jour, j’ai trouvé que ça commençait à faire drôlement déjà-vu. Et depuis lors, je suis complètement révoltée et je commence à avoir du mal à me contenir.
Surtout que ça a donné des idées à mes autres collègues masculins, qui se sont mis à en rajouter alors que ça n’était pas leur trip avant. Comme ça j’ai 3 types sur le dos en même temps, c’est hilarant. Et plus je m’énerve, plus ça les fait rire.
Ce qui est terrible, c’est que ce gars balance ses vannes de manière totalement réflexe dans des conversations tout à fait sérieuses. Un collègue me parle d’un article sur le « caddie intelligent » (celui qui fait le compte de son contenu tout seul) et hop, il nous balance « et la femme intelligente, c’est pour quand? ». Ha ha ha!
Je demande sa carte de crédit à mon boss pour payer une réservation en ligne, et monsieur clown relève le nez derrière son PC pour dire « ah les femmes, elles en ont toujours après notre argent! ».
Et moi j’ai juste envie de dire « PU*AIN MAIS TA G**LE ON T’A PAS SONNE!!! » mais je me retiens parce que je suis une fille bien élevée.
Vendredi dernier je me suis un peu énervée, parce que la presse avait décidé de faire du 29 février la « journée de l’homme » et qu’en arrivant au bureau, j’entends le monsieur annoncer tout content aux secrétaires que c’est donc la journée de l’homme aujourd’hui et qu’il faut être sympa, ce à quoi j’ai répondu quelques décibels au-dessus de ce que j’aurais souhaité que ‘c’est déjà la journée de l’homme 364 jours par an, qu’est-ce que vous voulez encore de plus’. (Le 365ème c’est la journée de la femme, le 8 mars)
Ce à qui il m’a répondu « oh toi la féministe, ça va… »
Voilà, le gros mot est lâché: féministe. Je suppose que je suis féministe parce que j’estime que je suis pas payée pour entendre ces conneries tous les jours au travail, et que je ne me laisse pas faire?
Au déjeûner j’ai essayé d’aborder le sujet sur un ton sérieux. Notamment en disant qu’aujourd’hui encore les femmes gagnent en moyenne 25% de moins que les hommes, et que donc c’est bien la journée de l’homme toute l’année. Evidemment il n’a pas fallu 25 secondes pour que mes joyeux lurons de collègues repartent dans leurs blagues débiles. Mais il y en a quand-même un qui a poursuivi sérieusement la discussion avec moi, pour me dire que sincèrement, en 20 ans, jamais dans aucune boîte où il n’avait travaillé il n’avait été témoin de discrimination.
Je crois sincèrement qu’il ne les a pas vues, sans doutes parce qu’il n’en était pas l’objet, mais moi-même j’ai dû un jour entendre mon patron me dire que même si j’avais mérité une promotion, on ne me la donnerait pas parce que ça allait inciter les autres femmes à en demander (!).
Est-ce que ces gens ne lisent pas les journaux? Est-ce qu’ils ne savent pas qu’aujourd’hui encore, ici en Belgique, des jeunes filles autochtones sont assassinées par leur famille parce qu’elles refusent un mariage arrangé? Que dans plein d’endroits dans le monde l’instruction scolaire fait défaut aux filles?
Est-ce qu’on peut vraiment affirmer, en étant intellectuellement honnête, que la femme est l’égale de l’homme, qu’ elle a les mêmes droits, les mêmes choix, et qu’elle tire les mêmes avantages de ses compétences?
Parce que si c’est le cas, alors la journée du 8 mars n’a plus de sens, on pourrait l’annuler tout de suite.
Et est-ce que je dois accepter, au jour d’aujourd’hui, d’entendre tous les jours au bureau des choses dégradantes sur les femmes sous prétexte que c’est de l’humour?
Le jour où le féminisme aura disparu, c’est qu’on aura fait de gros progrès. Malheureusement, je crois que ce n’est pas demain la veille.